“…et tout le reste à inventer, immense”

Photo de Jérôme Guilbert titrée "Extinction du jour"

Voici quelques pensées personnelles que je voulais partager avec chacun de vous. Je ne cherche pas les accords ou désaccords, je vous les envoie pour solliciter vos pensées, pour faire émerger les pensées de chacun dans un monde bouleversé et bouleversant. Et faites-les circuler !

A défaut de faire, pensons !

Prenez soin de vous

Jérôme Guilbert

"Extinction de jour", photo prise le 31 octobre 2019 par Jérôme Guilbert

"Extinction de jour", photo prise le 31 octobre 2019 par Jérôme Guilbert

« Je me suis souvent représenté dans le passé l’idée d’aller me réfugier dans ma maison d’enfance, dans les Yvelines, suite à une guerre ou autre. Souvent je l’ai projetée comme une possibilité, nourrie par la lecture du "Meilleur des mondes" d’Aldous Huxley, tout jeune adulte. Et me voilà aujourd’hui réfugié dans cette même maison.

Et de là, aujourd’hui, j’observe. Je me dis que c’est incroyable, de se retrouver, la Terre entière, cloitrée, encore plus (car nous sommes déjà cloitrés sur cette Terre, sans autre lieu de vie possible dans l’univers pour le moment), stoppant les échanges, l’économie, les liens sociaux et familiaux, les allées et venues, les déplacements, le tourisme…

Une opportunité unique ?

C’est incroyable que cette décroissance (de dépenses, d’activité, de l’économie, du temps) provienne d’un virus, de la nature et pas de l’Homme lui-même contre les Hommes ou contre un système mis en place par l’Homme. « Un invisible, un non-humain fait réfléchir la Terre entière. Personne jusque-là n’a réussi à bousculer le monde comme aujourd’hui. »

Pas de révolution, pas de prise de position. Tous nous sommes concernés par une même puissance naturelle qui m’apparaît comme une opportunité de penser.

De penser à ma vie d’avant, courir, gagner, réussir, faire mieux que, viser la performance, la rentabilité, aller-venir-se dépêcher puis aller chercher les enfants, faire les courses et cuisiner rapidement, ne profitant pas du temps et profitant de consommer pour combler mon besoin de posséder, de plaisir. Tout est urgent, tout en urgence.

Et aujourd’hui, rien n’est urgent sinon l’urgence vitale. Rien n’est urgent. Changer de voiture, terminer un travail, réparer une chaudière. Les choses reprennent leur place naturelle : est-ce urgent ou important ?

Comme si l’Homme avait mis en place inconsciemment un système de communication incroyable, Internet, pour rester en contact au cas où une telle situation arriverait. Chapeau.

Alors je suis là, face à mes 24 mêmes heures par jour, avec ceux avec qui je suis confiné, le temps plus que jamais rythmé par le sommeil, les repas, la cuisine, les courses, l’hygiène de soi, du linge, du lieu, et tout le reste à inventer, immense : ça part d’une simple feuille de papier et d’un crayon. Tout est à créer. Ça part d’un vieux vinyle, tout est à réécouter ou à écouter. Ça part des mots de ce bouquin que je n’avais jamais pris le temps de lire. Ça part d’une jardinière à embellir. Ça part du temps que j’ai pour parler et à écouter l’autre. Ça part d’exercices physiques, des doigts peut-être, du visage, d’une danse. Ça part du truc que je n’ai jamais pris le temps de réparer. De ce temps que j’ai pour prendre soin, soin de moi, soin des autres juste-là, prendre des nouvelles de ceux qui sont loin, soin dans les repas pour lesquels chaque bouchée pourrait compter, soin des choses et les entretenir, soin du temps. Prendre soin du temps.

Et déjà d’ajouter à ce temps étrangement flottant les horaires de télétravail, les devoirs pour les enfants qui arrivent par salves, et déjà ce temps explose. Encore plus. Les journées filent alors même que je gagne un temps fou ou précieux de transports, de trajets d’activités…

Comment prendre soin du temps.

Aujourd’hui, il faut qu’il y ait un maximum de pensée. Il faut la faire circuler. Jamais l’Homme a si peu « fait ». Des pensées pour construire demain, des pensées pour nos enfants, pour transformer, peut-être.

Comment cet événement serait une matière à transformer les choses ?

L’être humain vit sur cette planète depuis un bail. Il y a eu différentes phases de développement, des changements de direction. Il me semble inutile de comparer ma vie d’aujourd’hui avec la vie sur Terre d’il y a 10 000 ans, 900 ans, 150 ans, même 10 ans, même il y a quelques mois seulement. C’est quoi « vivre » ? Je sais que je vis sur Terre, immense et en même temps je suis coincé sur cette Terre où tout se passe, le meilleur comme le pire (chacun se placera où il veut, c’est ainsi). Mes enfants sont coincés sur cette Terre. Nous n’en partirons pas tout de suite.

Qu’est-ce qui peut changer, qu’est-ce que je veux changer, en moi déjà ? Déjà ce serait moins dire et plus vivre, plus ressentir et faire ressentir ; proposer plutôt qu’imposer. Impliquer plutôt que compliquer, écouter plutôt qu’occuper. Et déjà cela se passe en moi, dans mon corps.

Et le corps dans tout cela ?

Etrange moment ce confinement, où tout devient contrôle : contrôle des distances entre chacun jusque dans nos noyaux familiaux, contrôle de ceux qui sont avec moi, contrôle de ses propres gestes pour ne pas toucher son visage, contrôle des objets touchés, contrôle des allées et venues, contrôle des frontières, contrôle de son organisation devant un écran où je pense tout maîtriser.

Le grand délaissé ce serait mon corps, le corps sans contact, le corps à risque, le corps enfermé et qui tourne en rond, alors que tout part du corps.

Cette dernière année, j’ai découvert, lu, interrogé ma raison d’être, le sens des choses, la CNV (Communication NonViolente ; la CNV, c’est pour la bienveillance et l’écoute), le clown, la posture de formateur, les méthodes de transformation de structures et d’entreprises et le leadership ; et tout, toutes ces pistes convergent vers la résonnance intérieure, la tension intérieure de la Vie.

Dans le clown par exemple, il s’agit de chercher à révéler cette « posture intérieure d’ouverture inconditionnelle qui va allumer la lumière chez l’autre, révéler la beauté humaine »

Pour les Pionniers Leaders Coopératifs (par le Cycle des Pionniers), c’est ce travail sur la posture de qui « permet d’incarner une démarche coopérative », c’est « trouver un équilibre entre tension extérieure et tension intérieure », « sentir un mouvement à l’intérieur ».

Quelques phrases en résonance avec cela :

  • Frédéric Lenoir : « Spinoza avait compris, trois siècles avant Gandhi, que la véritable révolution est intérieure et que c’est en se transformant soi-même qu’on changera le monde. »
  • Constantin Stanislavski, comédien, metteur en scène et professeur d'art dramatique russe. Chacun sera libre de faire un parallèle sur ce qui se vit sur la scène du quotidien (avec mes représentations sociales, sur mon lieu de travail, avec mes amis… et ce qu’il propose de vivre sur scène : « La ligne intérieure du mouvement est la base de toute plasticité. C’est à vous de décider laquelle de ces lignes, l’extérieure et l’intérieure, est la plus importante ; laquelle est, dans votre esprit, la plus propre à produire une image physique de la vie d’un être humain sur la scène, la plus propre à servir la construction d’un personnage. » « La plasticité extérieure est fondée sur notre sensation intérieure du mouvement de l’énergie. » 
  • Hermann Hesse (dans Demian) : « Il faut que tu te concentres en toi-même et que tu fasses ce qui t’est dicté intérieurement. »
  • Gandhi : « Si vous voulez que le monde change, commencez par changer vous-même. »

 Alors, « pensez »-y ! »

Texte de Jérôme Guilbert (24 mars 2020)

 

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